Les roms : nouvelle arme politique ?
Edition du 16/09/2010 repris dans le courrier des Balkans le 14/10/2010
Les récents événements en France
permettent de mieux comprendre à quoi peuvent servir les roms sur le terrain
politique. Derrière les expulsions spectaculaires, le démantèlement des camps
et le coût des différentes aides aux retours se cachent une stratégie engagée
depuis mai 2007 qui repose sur ces migrants un peu particulier. De quoi
s’agit-il exactement ? Lors de l’élection de M.Sarkozy, le ministère de
l’immigration et de l’identité nationale est crée. Son objectif est de rassurer
les électeurs d’extrême droite qui ont voté massivement pour le candidat élu.
Afin de s’inscrire dans le concret et surtout de garder ces nouvelles voix ce
ministère annonce chaque année un objectif chiffré aux alentours 30 000
reconduites à la frontière par an. Si l’annonce est claire et permet de
communiquer efficacement, très rapidement la question se pose sur comment
réussir à trouver ces 30 000 étrangers en situation irrégulière. C’est là
que les roms roumains et bulgares ainsi que des citoyens roumains et bulgares
non roms vivants dans des squats ou dans des campements vont intéresser les
autorités. En effet, ils représentent de nombreux avantages :
-
ils sont faciles à repérer car ils vivent en groupe,
-
ils restent pacifiques lors des opérations de police,
-
ils sont peu procéduriers,
-
ils sont rarement soutenus par l’opinion publique.
La seule ombre au tableau, mais
elle est de taille, c’est que depuis le 1er janvier 2007 ils sont
citoyens de l’Union européenne c'est-à-dire qu’ils ne sont pas expulsables au
titre de la lutte contre l’immigration illégale puisqu’ils ne sont pas illégaux.
Pour contourner cet état de fait le gouvernement décide donc de créer des
« retours humanitaires » c'est-à-dire de retours payés par le
gouvernement français où, en plus du voyage, les adultes reçoivent 300 euros et
les enfants 100 euros afin de motiver les intéressés. De 2007 à 2009, les
citoyens roumains et bulgares ont représenté entre 25 et 30 % des personnes
renvoyées au titre de la lutte contre l’immigration clandestine soit environ 8
à 10 000 retours par an. L’année 2010 sera légèrement supérieure aux
années précédentes, agitation médiatique oblige. Si l’on prend les différentes
estimations du nombre de roms roumains et bulgare installés en France la
fourchette est située entre 10 000 et 15 000, ceci implique donc que
la majorité des roms renvoyés au pays reviennent en France et heureusement car
sans cela les chiffres des « éloignements » seraient impossible à
réaliser !
Que s’est-il passé cet été de
nouveau ? Suite à une crise politique aiguë où les scandales impliquant
des ministres se sont multipliés et où la lutte contre la délinquance, marque
de fabrique du parti au pouvoir, semble connaître de réelles difficultés, les roms
sont à nouveau devenus LA solution pour démontrer l’intransigeance d’une
politique fondée sur l’action et le respect de l’autorité. Concrètement rien de
véritablement nouveau si ce n’est une accélération du démantèlement des
terrains illégaux (qui la plupart du temps sont reconstruits quelques
kilomètres plus loin) et une intensification des retours
« humanitaires ». La différence c’est que l’engouement médiatique et
la stigmatisation publique de ce groupe aux contours toujours très flous a
entraîné une avalanche de condamnations internationales plutôt embarrassantes
pour l’image de la France dans le monde. Les roms roumains migrants qui, comme
partout, avaient plutôt une image négative ont même commencé à être considérées
en tant que victimes. Résultat, devant l’échec de l’instrumentalisation de la
question rom le gouvernement a tenté une ultime riposte, censée justifier les
expulsions, grâce à la publication de chiffres, en forte augmentation, bien sûr,
de la délinquance commis par des citoyens roumains[1].
Cette stratégie semble arriver un peu tard car déjà la majorité politique se
fissure sur cette question.
Que peut-on en conclure ? Depuis
qu’ils sont citoyens européens, les roms roumains et bulgares ont la lourde
charge de revêtir différents costumes : ceux des immigrés clandestins qu’on
expulse pour rassurer l’opinion publique et ceux, plus classiques, d’une population
hautement délinquante et incapable de s’intégrer.
Cette dernière vision semble être
partagée par nombre de citoyens européens qui voient avec inquiétude l’arrivée
des roms de Roumanie dans leur pays. Pour mieux sortir des fantasmes négatifs
ou positifs (l’enfer est pavée de bonnes intentions) tantôt coupable idéal ou
éternelle victime intéressons nous à ces fameux roms roumains installés en
France.
Tout d’abord, pourquoi sont ils venus ? Si la plupart du
temps la discrimination est mise en avant par les différents portes paroles
roms auto-proclamés, il s’agit, essentiellement, d’une migration économique de
type communautaire venant des campagnes. Les roms s’inscrivent dans un
mouvement plus global d’exportation de la force de travail qui touche de
nombreux villages roumains. Il n’y a
donc pas un nomadisme tsigane mais tout simplement un contexte économique et
sociale qui incite une partie de la population rurale roms et non roms à tenter
sa chance à l’étranger.
Les difficultés d’intégration sont- elles
culturelles ? Si les premiers roms venus entre
1990 et 2000 provenant du Banat ou de Transylvanie se sont relativement bien
insérés, l’arrivée de roms peu qualifiées provenant de régions moins
développées a commencé à rendre plus visible ces groupes. Ces derniers,
ne trouvant pas d’emploi, ils se sont rabattus sur des petits métiers comme la
vente de fleurs, la mendicité… L’absence de débouchés
sur le marché du travail légal et au noir ainsi que les difficultés d’accès au
logement ont permis à des intermédiaires de faire de l’argent en louant des
places sur des terrains qui ne leur appartenaient pas, en prêtant de l’argent à
des taux d’usure... Des cas d’exploitations d’adultes et d’enfants sont alors apparus
parmi les roms et les non roms[2].
Plus qu’une fatalité culturelle qui condamnerait les tsiganes migrants à
être éternellement les parias des sociétés européennes,
les problèmes d’intégration qu’ils éprouvent, sont liées aux difficultés
conjoncturelles[3] et administratives
d’insertion sur le marché du travail. A ce propos, afin de sortir
définitivement de l’idée que les roms venant des pays de l’est sont incapables
de s’intégrer en France ou ailleurs, il est intéressant de revenir sur
l’exemple de la migration yougoslave, plus ancienne que celle des autres pays
de l’est et donc mieux à même d’illustrer les différentes étapes du processus
migratoire. Celle-ci a, en effet, démarré dès la fin des années soixante et
s’est en très grande partie « normalisée ». Cela n’a pas empêché l’apparition
de quelques groupes ayant des activités illégales. Mais malgré cela, comme nous
pouvons le constater aujourd’hui la grande majorité des migrants roms d’ex-Yougoslavie,
s’est parfaitement intégrer en France au point d’être devenue « invisible »
pour l’opinion publique.
Alors que doit on faire ? La
seule voie possible est de favoriser l’intégration de ces familles roms dont le
nombre, faut-il le rappeler, reste très faible. En France, les roms roumains représentent
moins de 1% des roms de Roumanie et depuis 2007 cette population est constante.
Il n’y a donc pas d’exode des roms roumains vers l’Occident pas plus que
l’exportation d’une question sociale de l’Est vers l’Ouest, n’en déplaisent aux
nationalistes de tous bords.
Avant d’entendre les indignations
des responsables politiques français sur la situation en Roumanie, qui bien sûr,
est loin d’être idyllique mais ce n’est pas l’objet de cet article, il est
toujours intéressant de voir dans la pratique les mesures prises pour favoriser
cette fameuse intégration c’est-à-dire : l’accès à éducation, à la
formation et à l’emploi. D’après l’étude
du collectif Romeurope[4],
seuls 10 % des enfants roms vivants en France, en âge d’être scolarisés le sont
(bien que l’école soit obligatoire pour tous jusqu’à 16 ans). La principale
raison est le refus de nombreuses municipalités, toutes couleurs politiques
confondues, d’inscrire ces enfants par peur d’installation d’un campement sur
leur commune. Suivre une formation professionnelle est quasi impossible pour
des raisons administratives liées au statut des nouveaux entrants. De même, accéder
à l’emploi est limité dans le choix des métiers et extrêmement complexe en vertu
des mesures transitoires pour les citoyens roumains et bulgares. Au final, ces
dispositions restrictives, dont la France a déjà fait savoir qu’elle souhaitait
les prolonger jusqu’à leur terme (31 décembre 2013) ne peuvent qu’accroître les
difficultés des ces populations en situation déjà précaire et favoriser la
criminalité. La question politique « de l’intégration des roms » a
donc encore de beaux jours devant elle. Quant aux roms migrants, si la
politique continue de s’y intéresser de trop près, petit à petit, ils vont
finir par se conformer aux clichés : pauvres, illettrés et condamnés à
vivre en marge de nos sociétés civilisées.
[1] Il n’existe pas de
chiffres proprement dits sur les roms qu’ils soient français, roumains ou
bulgares car en France les minorités ne sont pas reconnues.
[2] Parmi les situations les plus médiatisées et les plus
importantes d’exploitation d’enfants en France on peut citer l’arrivée de
jeunes roumains non roms du Pays d’Oas, utilisés pour récupérer l’argent des
horodateurs parisiens.
[3] Il faut rappeler que la
France compte près de 3 millions de chômeurs et 100 000 personnes sans
abris.
[4] Collectif d’associations
françaises s’occupant des roms www.romeurope.org