Derrière la politique spectacle, les enfants roms In Le Monde


Article paru dans l'édition du Monde du 03.09.10

Après plusieurs semaines d'agitation autour des Roms roumains et bulgares et l'accélération des démantèlements des camps et des retours "volontaires", le ministère de l'intérieur publie une statistique censée justifier les actions menées en raison d'une augmentation exponentielle de la délinquance liée aux citoyens roumains en région parisienne. Parmi les chiffres annoncés, 49 % des actes de délinquance auraient été commis par des mineurs roumains. Les données présentées sont discutables, car elles portent sur des mises en cause et non des condamnations (sans doute moins nombreuses). Elles ont pour objectif de démontrer l'inadaptation de ces populations.

Contrairement à ce qui est insinué, loin de s'agir d'un trait culturel qu'on voudrait faire porter à l'ensemble des Roms roumains, l'augmentation des mineurs délinquants s'explique par la présence depuis 2009 d'un groupe particulier, bien identifié. Déjà connu au Royaume-Uni et en Espagne dès 2003, spécialisé dans les arnaques aux distributeurs automatiques de billets, ce réseau contraint des mineurs à commettre des vols pour son compte. Ces derniers sont fréquemment interpellés, ce qui constitue l'essentiel de l'augmentation des mises en cause présentées par le ministère de l'intérieur.

L'incapacité à arrêter les membres du réseau, l'absence de dispositif pour la protection des mineurs victimes d'exploitation et le manque de moyens affectés à la protection judiciaire de la jeunesse sont les principales causes de cet échec. Des phénomènes d'exploitation de mineurs touchent d'ailleurs d'autres nationalités et sont en augmentation depuis deux ans, et il ne s'agit pas d'une caractéristique ethnique propre aux Roms. La lutte contre ces phénomènes nécessite aussi de travailler davantage en partenariat : justice, police, protection de l'enfance, associations spécialisées, pays d'origine. De telles initiatives ont donné des résultats. Espérons qu'elles puissent continuer à être développées.

Cette statistique, qui pour la première fois cite explicitement les ressortissants d'un pays, doit permettre de faire accepter un accord bilatéral entre la France et la Roumanie que le Parlement ratifiera en octobre. Ce dernier, s'il était voté, permettrait de renvoyer des mineurs isolés, sans véritable enquête sociale dans le pays d'origine et sans passage devant le juge pour enfants. L'objectif affiché est la lutte contre la délinquance plutôt que l'intérêt supérieur de l'enfant qui devrait pourtant primer.

Quant à l'efficacité de cette mesure, il faut rappeler qu'en 2002, lorsque des mineurs roumains (n'appartenant pas à la communauté rom) avaient été utilisés pour piller les horodateurs, leur renvoi dans le cadre des précédents accords signés avec la Roumanie à l'initiative du ministre de l'intérieur de l'époque, Nicolas Sarkozy, a eu des effets très limités. Une quarantaine de retours en trois ans, sans véritable intégration en Roumanie, et parfois des enfants récupérés par des réseaux et exploités dans d'autres pays d'Europe.

DES ENDROITS INSALUBRES
Pourtant, d'autres solutions existent. Une grande partie des enfants utilisés pour ramener de l'argent ont réussi à apprendre un métier en France. Une étude du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Credoc), portant sur 100 jeunes Roumains de cette époque passés par l'aide sociale à l'enfance de Paris, a montré que 97 % d'entre eux ont pu valider une année scolaire ou obtenir un diplôme.

Quittons le terrain des enfants en situation d'exploitation pour revenir aux mineurs roms vivant dans les camps en France, cibles des actions spectaculaires de ces dernières semaines. Les enfants ont souvent été les premières victimes de ces opérations. La peur de l'expulsion a conduit beaucoup de familles avec des enfants en bas âge dont les conditions de vie étaient déjà difficiles à quitter leur terrain, pour se cacher dans des endroits insalubres (tunnels, pavillons en démolition...).

Des enfants allant à l'école depuis plusieurs années risquent de renoncer à leur scolarité à la suite de leur éloignement géographique par les forces de l'ordre. La plupart du temps, la destruction de leur logement de fortune par des bulldozers se fait devant leurs yeux. Si cette politique, dont les principaux résultats sont la déscolarisation et la mise en danger de mineurs, doit cesser au plus vite, que peut-on faire ?
Afin de sortir de l'idée que les Roms des pays de l'Est, malgré leur nombre restreint, estimé à 15 000, sont incapables de s'intégrer en France, il est intéressant de revenir sur la migration yougoslave, plus ancienne que celle des autres pays de l'Est et donc mieux à même d'illustrer les différentes étapes du processus migratoire. Celle-ci a commencé dès la fin des années 1960 et s'est en grande partie "normalisée". Cela n'a pas empêché l'apparition de groupes ayant des activités illégales.

Malgré tout, la majorité des migrants roms d'ex-Yougoslavie ont su s'intégrer en France au point qu'ils sont devenus "invisibles" pour l'opinion publique. Les difficultés que les Roms roumains et bulgares éprouvent ne sont pas dues à la "culture rom" qui les condamnerait à être à la marge mais aux difficultés d'insertion sur le marché du travail.

Permettre aux enfants roms vivant chez nous d'être scolarisés, d'accéder à la formation, notamment professionnelle, puis à l'emploi reste la seule voie pour permettre une intégration de ces familles roms dont le nombre, il faut le rappeler, est stable depuis plusieurs années et représente moins de 1 % des Roms de Roumanie.

Dans la pratique, il semble que la voie inverse soit privilégiée puisque, d'après l'étude du collectif Romeurope, seuls 10 % des enfants roms vivant en France et en âge d'être scolarisés le sont. Une des raisons est le refus de nombreuses municipalités, toutes couleurs politiques confondues, d'inscrire ceux-ci à l'école par peur de l'installation d'un campement. Suivre une formation professionnelle est quasiment impossible sans prise en charge par l'aide sociale à l'enfance. De même, l'accès à l'emploi est limité et complexe du fait des mesures transitoires pour les Roumains et les Bulgares.

Au final, ces dispositions restrictives dont la France a déjà fait savoir qu'elle souhaitait les prolonger jusqu'à leur terme (31 décembre 2013) et l'accélération des destructions de camps privent les enfants roms d'accès à l'éducation, donc d'intégration. Petit à petit, ils se conforment aux clichés de la société majoritaire : pauvres, illettrés, et condamnés à vivre en marge de notre société civilisée.