Exploitation des mineurs étrangers venant d’Europe de l’Est en région parisienne
In Cahier de la sécurité n°9 Juillet-Septembre 2009, Institut National des Hautes Etudes en Sécurité
Depuis les années 2000, l’arrivée de mineurs des
pays de l’Est a souvent mis en difficulté les autorités de la protection de
l’enfance françaises. L’année dernière, l’association Hors la Rue qui travaille
auprès de ces jeunes depuis 2002 a constaté des évolutions
significatives : augmentation de la population, rajeunissement de l’âge,
développement des formes de traite, déplacement des régions d’origine en
Roumanie et apparition de nouvelles nationalités : serbe et bosniaque. Cet
article doit permettre de mieux approfondir la compréhension de ces changements
récents en liant les évolutions socio-économiques de ce pays, les stratégies des
mineurs et de leur famille ainsi que les nouvelles formes de traite.
Dans le cadre
de son programme « Rues de Paris », l’association Hors La Rue (HLR)1 mène une
action auprès des mineurs étrangers, principalement d’origine roumaine, en
situation d’errance ou de danger en région parisienne. Cette action est
effectuée par un accueil et un suivi éducatif sur un centre situé dans le 13ème
arrondissement de Paris, et par un travail de repérage dans les lieux
dits « d’activité » et « d’habitation » tels que les
squats, terrains,
lieux insalubres, parvis des gares. L’association intervient aussi sur
sollicitations des commissariats, des SEAT et des maisons d’arrêt. HLR s’est appuyée sur la connaissance des enfants des rues
roumains que ses fondateurs avaient acquise à Bucarest depuis 1992.
Le nombre de mineurs étrangers en
errance ne cesse d’augmenter. La proportion de mineurs roumains
rencontrés par l’association est toujours forte (85% des nouveaux contacts en
2008). Elle suit également quelques
mineurs d’autres nationalités de pays de l’Est (Serbie et Bosnie),
principalement d’origine « rom ». En 2008, l’association a
rencontré 238 nouveaux mineurs, ce qui représente une hausse de 45% par rapport à 2007. 55% des
jeunes entrés en contacts avec l’association n’avaient jamais rencontré des
institutions. Parmi les 202 jeunes roumains
accompagnés par l’association, une grande partie d’entre eux proviennent du Sud de la Roumanie (régions
Olténie/Valachie ayant séjourné précédemment dans d’autres pays
européens : Italie, Espagne et Allemagne.
Ces mineurs, qui sont pour 65%
des garçons et pour 35% des filles, ont un âge moyen de 14,5 ans. Ils sont en
France soit accompagnés de leurs représentants légaux, soit isolés2
ou mal accompagnés3. Ils constituent une jeunesse
particulièrement vulnérable, à risque d’exploitation ou exploitée.
Plusieurs allers-retours dans les villages d’origine de ces jeunes et
dans les pays précédents de séjour ont
permis de faire de nombreux constats.
I-
Raisons de la migration des populations roumaines à risque d’exploitation
a) Migration récente de
populations vulnérables
Pour bien comprendre les processus socio-économiques qui ont poussé des
familles, peu habituées à la migration, à partir, il faut rappeler que la Roumanie a connu un
développement économique très rapide à partir des années 2000 profitant
notamment aux populations des villes. L’écart s’est alors considérablement
accentué avec la population des campagnes pratiquant une agriculture familiale
de subsistance ou des métiers traditionnels inadaptés à l’économie de marché.
Pour pallier l’absence de débouchés, des villageois ont commencé à migrer à
l’Ouest. En 2007, avec l’entrée du pays dans l’Union européenne, le modèle d’agriculture
familiale dans lequel s’était réfugiée
la partie de la population la moins
______________________
1 site Internet de HLR : www.horslarue.org
2 enfants non accompagnés par leurs représentants
légaux.
3 Depuis le début 2007, un travail d’équipe sur le
projet de l’association HLR avait entériné l’élargissement de la définition
« Mineurs Isolés Etrangers » à « Mineurs isolés ou mal
accompagnés ou en danger », définition confortée par le texte de loi n° 207-293
du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfant.
qualifiée n’était plus adapté aux
nouvelles normes à respecter. La population s’était alors trouvée dans
l’impossibilité de vendre aux filières agricoles et agro-alimentaires. Les
populations pauvres des campagnes ont donc dû trouver de nouvelles stratégies
de subsistance avec un Etat qui offre une protection insuffisante aux
populations les plus démunies (pas de
véritable allocation ni de couverture santé). Pour gagner de l’argent,
beaucoup ont décidé de
travailler comme journalier chez
des particuliers. Afin d’augmenter les gains, les enfants ont souvent été
retirés de l’école afin de contribuer, eux aussi, aux revenus familiaux. Dans
ce contexte, la migration devient alors une des solutions souhaitées,
plus accessible qu’auparavant, grâce à la libre circulation. Les familles sont
persuadées qu’elles accéderont à un travail souvent moins pénible et mieux
rémunéré. Le même processus de disqualification sociale va aussi pousser
certaines familles à confier leurs enfants à des personnes leur promettant également un emploi à
l’étranger.
Cette nouvelle donne va
représenter pour certains migrants, mal intentionnés et déjà installés à
l’étranger, une nouvelle opportunité financière. Jouant sur la demande de ces
populations, ils vont chercher à s’imposer, contre rémunération, comme
intermédiaire dans toutes les étapes du projet migratoire.
L’apparition des mineurs mal accompagnés, isolés et en danger est une conséquence des mouvements
migratoires. Certains
jeunes ont commencé à élaborer eux
–mêmes des projets de migrations économiques ou ont tout simplement pensé à
tenter leur chance pour fuir des situations de pauvreté ou de violences
familiales.
b) Typologie des mineurs étrangers
venant d’Europe de l’Est
1- Les mineurs venus
avec un projet
Pendant plusieurs années ces
jeunes ont constitué la grande majorité des « mineurs isolés étrangers
roumains »4. Les caractéristiques de cette migration
sont les suivantes :
- population à 80 % - 90 % masculine
issue du milieu rural ;
- départ vers la fin du collège
(15 – 16 ans).
En France, les régions d’origine
de ces migrants étaient jusqu’à peu essentiellement le pays d’Oas (département
Satu Mare) et le Maramures, régions situées au Nord Ouest de la Roumanie. Ce type de
migration se retrouve en Espagne, en Italie et au Royaume Uni de façon très
similaire mais avec d’autres départements roumains.
Actuellement, il est constaté de moins en moins de nouveaux
arrivants correspondant à cette typologie et il est observé, dans le même
temps, une plus grande diversité des régions d’origine. Cette évolution peut
s’expliquer par :
-
une structuration de cette migration due à sa
relative ancienneté (entre 5 et 10 ans),
-
une meilleure information des familles sur les difficultés
dans les pays de destination,
-
un allongement de la scolarité en Roumanie
(jusqu’à 16 ans) ainsi qu’un projet migratoire mieux construit limitant les
départs à risques.
______________________
4 Pour en savoir plus, en 2007, le CREDOC a
mené une étude pour comprendre le parcours de 100 jeunes passés par
l’association HLR et l’Aide Sociale à l’Enfance
de Paris dont la grande majorité pouvait être considérée comme
« venus avec un projet ». Les résultats pour les jeunes ayant accepté
le placement sont très encourageants car la grande majorité renoncent aux
activités dangereuses ou délinquantes qu’ils pratiquaient avant et obtiennent
des qualifications professionnelles. Pour plus de détails voir l’étude
« Que sont-ils devenus ? » téléchargeable sur notre site
Internet http://www.horslarue.org/rubrique_fr.php?ID_RUBRIQUE=79
Si du point de vue des risques
liés à la migration des plus jeunes nous pouvons parler d’une nette amélioration,
deux aspects restent préoccupants :
-
l’augmentation du nombre d’enfants restés dans
ces villages dont les deux parents travaillent à l’étranger (mineurs isolés en
Roumanie).
-
le nombre important de jeunes majeurs provenant
de ces villages, partis mineurs, qui n’ont pas réussis à s’insérer. Ils sont
installés depuis plusieurs années dans l’errance et ancrés dans des activités
de prostitution et / ou de délinquance.
Pour cette population, il faut noter une carence dans la prise en charge
sociale, médicale et juridique qui s’est renforcée depuis l’entrée de la Roumanie dans l’Union
européenne.
X est arrivé en France en
2003 à l’âge de 14 ans. A son arrivée il a été exploité par des adultes pendant
plusieurs mois puis pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) du Val
de Marne. Il a ensuite bénéficié d’un rapatriement humanitaire en Roumanie avec
son grand frère. En 2007, il est revenu
en France après avoir subi des maltraitances par son entourage en Roumanie. Il
était alors sans ressources, en « situation de rue » et en grande
détresse psychologique et morale. Nous l’avons alors orienté vers une structure
pour l’hébergement et nous lui avons également proposé de venir au centre de
jour. Au vu de son parcours et de sa situation, nous avons en accord avec X
sollicité l’ASE du Val de Marne et le juge pour enfants du tribunal de grande
instance de Créteil pour demander une protection jeune majeur. Ces demandes
n’ont pas abouti favorablement. Après un séjour à l’hôpital psychiatrique de
Sainte Anne, X s’est retrouvé de nouveau en situation de grande précarité et de
vulnérabilité. X nous a fait part d’un projet retour en Roumanie pour revoir sa
famille, projet peu construit et sans aucune garantie de réussite. Depuis, X est en prison pour pillage d’horodateurs
et l’association Hors la rue continue de le suivre...
2- Les
mineurs en errance
Issus de familles
déstructurées et/ou modestes voire très modestes, originaires de toutes
les régions de Roumanie ou d’autres pays en situation de transition économique,
ces jeunes ont en commun une enfance marquée par la violence, le manque de
soins, l’absence d’éducation et de scolarisation. Ils sont livrés à eux-mêmes
dès l’enfance, en l’absence de cadre éducatif posée par la famille ou
l’entourage. Leurs parents sont la plupart du temps en marge de leur communauté
d’origine sur le plan social ou ethnique. Une partie des jeunes roumains
en errance que l’association Hors La Rue rencontre, vivent dans des
conditions de très grande précarité.
Ces jeunes partent souvent de leur pays pour échapper à
des problèmes familiaux et/ou judiciaires. Leurs activités, lors de leur
parcours à l’étranger, répondent plus à une nécessité de survie plutôt qu’à un
projet économique précis. Le choix du pays de migration se fait au hasard des
rencontres et/ ou pour fuir une situation devenue intenable lors du séjour
précédant dans le pays voisin.
En 2008, il a été noté quelques
évolutions par rapport aux années précédentes concernant notamment la venue de
jeunes roumains ayant séjourné dans d’autres pays
d’Europe de l’ouest, surtout en
Italie. Il a aussi été remarqué
l’apparition d’adolescents
provenant d’institutions5
(« orphelinats »). Enfin, pour la grande majorité des jeunes dits
« en
errance », filles ou
garçons, la prostitution devient de plus en plus la modalité principale de
survie.
3 - les mineurs exploités en
région parisienne
Exploitation des mineurs accompagnés
En fonction des contraintes que
connaît la famille, le recours au travail des mineurs est très variable. Si la
majorité des familles de migrants tentent de tout faire pour permettre à leurs
enfants de suivre une scolarité normale, certains groupes démunis se retrouvent
face à des impératifs économiques qu’ils ne savent pas résoudre sans utiliser
l’ensemble des membres de la famille, y compris les plus jeunes. Souvent, pour assurer le quotidien, les familles
contactent quelques dettes auprès de leurs voisins. Les enfants aident leurs
parents après l’école et le week-end en faisant la manche ou en vendant des
fleurs. Cette pratique concerne en grande partie des familles
« roms », dont la mère et les enfants assurent les besoins financiers
pour les dépenses courantes de la famille.
Parmi les familles arrivées
récemment, ne bénéficiant pas d’un réseau d’aide, certaines doivent payer
chaque mois un prix de séjour élevé à des personnes mal intentionnées, ce qui crée une pression sur tous les membres de
ces familles. Les mineurs sont alors mis à contribution le temps nécessaire
pour réunir cette somme. En plus d’une absence de scolarisation, les enfants
sont orientés vers des activités
dangereuses et délictuelles (travaux
pénibles, mendicité jusqu’à des heures tardives, vols, prostitution). Pour
échapper à ces différentes formes de rackets, des familles décident de sortir
du groupe souvent en habitant dans des logements extrêmement précaires mais
gratuits. Ils se tournent ensuite vers les services sociaux afin d’obtenir un
minimum de protection sociale. A Paris, au début de l’hiver 2008, plusieurs
familles avec des enfants très jeunes s’étaient installées sur le parvis de la
gare du Nord pour ne plus payer d’intermédiaire. Mais c’est sur ce même parvis que nous avons
rencontré une vingtaine de très jeunes garçons ( de 10 à 14 ans) liés très
souvent par une dette en
situation de prostitution. D’autres familles
décident de tenter leur chance dans d’autre pays ou repartent en Roumanie en
attendant de nouvelles opportunités.
Les mineurs exploités via la Kamata
Issus
du milieu urbain comme du milieu rural, les jeunes et leur famille ont souvent
été trompés sur l’objectif de la migration. Partis la plupart du temps pour
travailler dans la construction, l’hôtellerie ou pour mendier, ils se
retrouvent contraints à voler ou à se prostituer (surtout pour les filles). Ces
jeunes proviennent souvent de familles extrêmement
modestes, ayant connu des
difficultés voire des conflits familiaux très forts. La migration de
l’enfant à des fins économiques
est souvent perçue comme une solution de facilité, d’où souvent l’acceptation
mutuelle (des parents et de l’enfant) de partir sans trop se soucier des
conditions de voyage et des intermédiaires dans les pays de destination.
Depuis 2007, les associations et
les autorités roumaines constatent une augmentation sensible du recrutement des
mineurs directement en Roumanie à des fins d’exploitation sexuelle ou
________________________
5 En Roumanie, depuis 2007, une politique de
désinstitutionalisation afin de fermer les « orphelinats », a été
lancée. Si le principe est louable, dans la pratique, la méthode s’est avérée
très brutale pour certains jeunes placés. En effet, pour fermer au plus vite,
les jeunes placés qui continuaient d’avoir des liens, même sporadiques, avec leur famille ont été renvoyés dans leur milieu d’origine. Beaucoup se sont donc retrouvés quelques mois plus tard à la rue sans autre
alternative et ont choisi de partir de Roumanie sans aucune idée de ce qu’ils
les attendraient à l’étranger.
d’exploitation par le travail. La
cible privilégiée des recruteurs concerne des familles pauvres, vivant à la
campagne, n’ayant pas les capacités de partir à l’étranger et très peu
informées des
risques liés à la migration. Ces
recruteurs utilisent en majorité la tromperie pour convaincre la famille
d’accepter de leur confier leur enfant afin qu’il ait un avenir meilleur en
Europe de l’Ouest. Parmi les différentes méthodes de recrutement les plus
connues il faut citer la promesse d’un travail bien payé à l’étranger. Parfois,
le recruteur fait payer la prestation proposée (voyage, logement et travail assuré) à l’arrivée, pour être
plus crédible ou pour faire de la dette ainsi contractée un moyen de pression
par la suite.
Parmi les jeunes filles roumaines
rencontrées, la grande majorité a été recrutée via des techniques de séduction.
La situation type est la suivante : leur « petit ami » connu en
Roumanie, après avoir suffisamment gagné la confiance de la jeune fille et
celle de leurs parents, l’emmène à l’étranger et la force à faire le trottoir.
Généralement, le même individu a
séduit plusieurs filles en
parallèle et n’est qu’un intermédiaire de l’organisation. L’approche peut
souvent durer plusieurs mois jusqu’à l’annonce officielle à la famille du
mariage. La même technique peut aussi avoir lieu avec des mères divorcées où le
beau père, cette fois-ci,
convainc la mère de prostituer la
fille. Afin de limiter les risques de poursuite, ces intermédiaires, à leur
tour, délèguent aux victimes les plus anciennes et les plus dociles
l’encadrement des activités sur place. 2008 fut marquée par une augmentation des jeunes en
situation de prostitution. Cette activité qui a toujours existé notamment à la Porte Dauphine
s’est développée.
Les systèmes liés à la Kamata 6 (système
de dette) font peser des menaces sur la famille et conduisent à des formes
d’exploitation très violentes pour les enfants. Contrairement à des
emprunts classiques, les kamatas
les plus dures ont pour fonction de rendre totalement dépendante une famille de
son prêteur ou bien de confisquer la maison. Ce système repose sur
des taux d’intérêts exponentiels et le choix de familles
incapables de rembourser. La pratique de la Kamata se retrouve surtout dans les régions du
sud et sud-ouest de la
Roumanie (certains villages au sud de Craiova). Les kamatari
(prêteurs) proposent aux candidats au départ de
prendre en charge tous les
services liés à la migration : le transport, l’établissement de documents
d’identité, le logement dans le pays de destination Les familles que nous
rencontrons victimes du système de la
Kamata proviennent d’une catégorie de Roms, en bas de
l’échelle sociale, mal informée, pratiquant une activité économique très
pénible et de moins en moins rémunératrice. Ce groupe s’appelle les Caramidari.
Leur métier consiste à faire des briques de terre. L’augmentation du coût de la
vie, l’inadaptation de leur métier aux évolutions économiques, ainsi que des
inondations récentes dans leur village ont sans doute poussé une grande partie
d’entre eux à envisager la migration comme seule issue économique. C’est dans ce
contexte que des kamatari ont profité de la situation pour organiser les
allers/retours avec la
Roumanie moyennant une dette pour le voyage (environ 150 €),
l’établissement de documents d’identité (100 et 400 €), puis « la
location » en France de lieux pour construire une cabane, la mise en
relation pour du travail… La famille qui ne pensait payer que quelques
centaines d’euros pour son voyage se retrouve, dès son arrivée en France, à
devoir rembourser des sommes pouvant atteindre plusieurs milliers d’euros. La durée du
_____________________________
6 Dès la fin des années quatre-vingt, certains Roms du
Sud de la Roumanie
notamment ceux provenant de la
Région de Craiova, ont converti les métaux précieux qu’ils
possédaient en devises étrangères et se sont transformés en prêteurs. Le
système bancaire n’étant pas encore véritablement en place et l’accès aux
devises étant extrêmement limité ces derniers sont devenus incontournables
notamment pour les entrepreneurs roumains(non « Roms » pour la
plupart).Ils ont pris le nom de Kamatari (les « taux d’intérêt » en
serbe) ou Dobandari ( même signification mais en roumain).Rapidement ils ont amassé
des sommes d’argent très importantes et surtout ont établi des réseaux de
connaissances à tous les niveaux de pouvoir (économique, politique et
judiciaires) les mettant à l’abri de toutes poursuites. Le système avec les
années s’est perfectionné devenant pratiquement sans risque pour les prêteurs
et de plus en plus rémunérateur.
prêt est d’un mois au-delà, la
somme double. Pour le remboursement, rapidement les enfants s’avèrent être les
plus efficaces pour ramener l’argent notamment à cause des activités de
prostitution ou de vol. Suivant les kamatari, ces derniers encaissent une somme
chaque jour pour une durée non-définie ou cherchent à récupérer la maison de la
famille. Au final ce système prend la
forme d’un réseau d’exploitation sans que les kamatari courent de gros risques
car les familles sont volontaires au départ et les menaces demeurent quasiment
impossibles à prouver7. Sur un même camp, il est parfois difficile
de distinguer les exploiteurs des exploitants ainsi que certaines familles qui
n’ont pas de dettes et qui sont davantage dans un projet de sédentarisation en
France
Les mineurs d’ex-yougoslavie en situation de traite
La dénomination de mineurs en
situation de traite ne doit aucunement être généralisée aux « Roms »
d’ex-yougoslavie dont une grande partie est installée depuis les années 60 en
France et dont les enfants sont scolarisés ou travaillent tout à fait
légalement.
Au cours de l’année 2008, la
justice, par le biais des éducateurs des Servie Educatif Auprès du Tribunal (SEAT)
ou des maisons d’arrêt, a orienté vers l’association plusieurs mineurs « Roms »
serbes et bosniaques. Cette population est mal connue des institutions et des
associations car très fuyante et probablement très encadrée par des adultes.
Ces jeunes « roms » d’ex-Yougoslavie n’ont vécu que quelques années
en Serbie ou en Bosnie. Ils parlent peu ou pas le serbo-croate. La majorité a
séjourné plusieurs années en Italie. Depuis quelques années une partie de ces
« familles » se seraient déplacées en France et continueraient
d’avoir des liens avec des compatriotes installés en Italie mais aussi avec
leur pays d’origine.
Suite à une mission en Bosnie,
nous avons pu éclaircir les stratégies d’exploitation mises en œuvres. En
résumé, des enfants seraient recrutés en Bosnie mais aussi dans les pays
autour : Kosovo, Macédoine, Sud Serbie, essentiellement parmi les
minorités « roms ». Ils suivraient un entraînement dans certaines villes
comme Sarajevo, Tuzla pendant souvent plusieurs années puis seraient envoyés
dans des pays comme l’Italie et plus récemment la France , les pays
scandinaves ou au Moyen-Orient.
Les observations faites en
France sur ces jeunes sont :
- un encadrement très coercitif
par des adultes dont les consignes sont très strictes pour ne laisser filtrer
aucune information sur le lieu d’habitation, les adultes, les liens avec le
pays et le type d’activité.
- Les filles semblent être plus
« utilisées » que les garçons et subissent des mauvais traitements
(coups, malnutrition, viols), ce qui peut expliquer leur mutisme,
- Les activités délinquantes que
ces mineurs commettent démontrent une organisation structurée (voleur, receleur…) et semblent
très rémunératrices. Les avocats venant défendre les jeunes sont
systématiquement payés par « la famille ».
II-
Devenir des mineurs et solutions
Avant de réfléchir à des
solutions pratiques, il est nécessaire de mieux comprendre les stratégies mises
en œuvre par les intéressés pour sortir de la rue.
_____________________
7 BOT Malin, Mafia camatarilor, Humanitas,
Bucuresti, 2004
L’autonomisation via le groupe
de pairs. Cette stratégie est surtout
commune aux garçons qui pendant plusieurs
années ont été exploités en pratiquant des activités
de vol et de prostitution. En grandissant, ces jeunes coupent les liens avec
leur famille et s’allient avec des
compatriotes, rencontrés la plupart du temps dans les pays de destination, pratiquant les même activités. Ces
jeunes reconstituent alors un système qui leur est propre pour le logement, la
nourriture et les activités rémunératrices mais précaires car très peu stables.
En fonction des opportunités et des rencontres, ils sont amenés à se déplacer d’un
pays à l’autre. Après plusieurs années de ce fonctionnement, certains
continuent leur parcours dans l’errance en alternant délinquance et séjours en
prison. D’autres tentent de s’en sortir,
souvent en se rapprochant des institutions pour
régler des problèmes de santé ou en renouant des liens communautaires à travers un mariage et/ou des enfants.
L’autonomisation via le groupe de compatriotes.
Il s’agit ici de personnes, qui ont réussi à se constituer un réseau local de
connaissances, pas forcément très important, mais suffisamment pour pouvoir se
placer en tant qu’intermédiaire et profiter de cette position pour ne plus être
en situation de traite. Avec les années, ces activités peuvent se développer
plus ou moins dans la légalité via un travail saisonnier chez des patrons locaux, ou à l’opposé, basculer dans
l’exploitation d’autres compatriotes.
L’autonomisation via l’insertion dans le pays
de destination. Il s’agit de mineurs à risque d’exploitation ou exploités, ayant
accédé rapidement à l’école ou à une formation qualifiante dans le pays de destination. Ces derniers se comportent alors comme n’importe quels travailleurs
migrants envoyant une partie de leur rémunération à leurs proches restés au
pays.
Concernant les filles victimes d’exploitation
sexuelle, elles peuvent opter pour la stratégie d’autonomisation via le
groupe de compatriotes mais sur un mode limité en prenant une position plus
dominante dans le réseau (encadrement d’autres filles) ou en devenant à leur
tour prêteuse (système existant à l’est mais plus présent chez les
« mamas » notamment dans la prostitution nigérienne). La
véritable sortie de réseau passe souvent par une protection, grâce à une prise
en charge spécialisée, permettant une insertion dans le pays de destination ou d’origine.
Les solutions pour les mineurs victimes de traite et le problème
spécifique des jeunes filles mineures exploitées sexuellement.
Il faut retenir que la lutte
contre la traite nécessite des moyens spécifiques et suppose un véritable
travail de partenariat entre la police, la justice, les institutions de
protection de l’enfance et les associations spécialisées. En parallèle, la
coopération avec les pays de destination s’impose afin de mieux appréhender le
phénomène et de mettre en place des actions de lutte et de prévention.
Nous pouvons lister quelques
conditions pour un travail efficace de lutte contre la traite :
- engagement politique et financier des institutions de protection de l’enfance (l’Etat à travers les différents ministères concernés et conseils généraux),
- renforcement de la capacité des associations et des acteurs de la protection à être présents sur le terrain afin d’ entrer, le plus tôt possible, en contact avec les victimes,
- nécessité d’une véritable coopération inter-institutionnelle incluant le travail avec les associations spécialisées,
- mise en place rapide de dispositifs expérimentaux pluri-acteurs afin de proposer des réponses adaptées pour lutter contre les différentes formes de traite et s’adapter à leurs évolutions,
- coopération avec les pays d’origine et les autres
pays européens confrontés aux mêmes phénomènes pour permettre un
travail de fond et trouver des solutions à moyen terme (l’Italie,
l’Allemagne, le Royaume-Uni et l’Espagne).
Au-delà, des recommandations
générales il est nécessaire d’attirer l’attention sur le problème spécifique
des jeunes filles victime de traite. En
effet, actuellement, il n’existe pas en France de protection adaptée pour ces
mineures lorsqu’elles cherchent à sortir du réseau. Dans beaucoup de situations
un éloignement géographique devrait être effectué le plus rapidement possible.
En 2008, l’association Hors La Rue
a suivi 6 jeunes filles arrêtées par la
BPM (Brigade de Protection des Mineurs) en situation de
prostitution. Placées sur OPP (Ordonnance de Placement provisoire) du procureur
de la République dans un foyer d’urgence à Paris, ces
dernières subissaient une pression du réseau qui les exploitait et fuguaient la
veille de leur audience devant le juge des enfants. En se basant sur
l’expérience de l’association ALC-Nice8 et du dispositif de
protection des victimes majeurs de la traite9, l’association Hors La Rue a élaboré un schéma de
protection des victimes mineures de la prostitution. Ce dispositif peut être
élargi à toutes nationalités et devrait être discuté avec les partenaires associatifs
et institutionnels courant 2009.
Vers l’apparition d’enfants des rues en France ?
Pour mieux appréhender ce qu’on
nomme par enfants des rues nous nous appuierons sur les définitions
scientifiques considérant ce phénomène comme un processus, une
« carrière » plutôt qu’un état. Ce que nous appelons enfants des rues
parmi les jeunes que nous rencontrons regroupe en réalité des situations
diverses dont le point commun est une distanciation progressive par rapport à
la famille et aux institutions (école, foyers) au profit d’activités de rue
(mendicité, vols, prostitution) et une socialisation de plus en plus liée à ces
activités. Si depuis quelques années
nous rencontrons des adolescents qui répondent à cette situation, il nous
paraît important d’alerter sur l’augmentation du nombre de jeunes et surtout
d’enfants qui s’inscrivent dans ce processus. Leurs familles sont de moins en moins présentes car elles sont
souvent restées dans un autre pays ou elles
pratiquent de nombreux allers-retours avec le pays d’origine. Ces jeunes
fuient les institutions et se fabriquent leur propre mode de survie sans passer
par les systèmes classiques de protection de l’enfance. Souvent très peu
scolarisés à la base, ils deviennent à l’adolescence extrêmement difficiles à
réinsérer. Pour casser ce processus, il nous paraît nécessaire de développer
encore davantage le repérage et de pouvoir travailler le plus tôt possible avec
ces enfants dès leur plus jeune âge, y compris moins de 10 ans. Cela nécessite
un dispositif particulier mais nécessaire pour stopper ce phénomène récent pour
notre pays et très préoccupant.
_______________________
8
L’association ALC- Nice reconnue d'utilité publique , intervient sous la
forme d'initiatives multiples en direction d'adultes et mineurs en difficulté
d'insertion sociale
9 Le dispositif Ac.sé N° Indigo :0825009907 www.acse-alc.org
[12] Ces
observations ont été effectuées lors de mon travail depuis plusieurs années à
l’association Hors la Rue qui rencontre chaque année environ 250 nouveaux
jeunes provenant en majorité de Roumanie.
[13]
Beaucoup de jeunes ayant appris la langue et trouvé un travail chez des
« patrons » pendant leur séjour optent, après avoir fondé leur
famille, pour un rythme saisonnier. Ce système offre de nombreux avantage car
les enfants peuvent suivre une scolarité normale au pays et les gains à
l’étranger restent supérieurs aux possibilités en Roumanie.
[14]
« Que sont-ils devenus ? », étude du Credoc coordonnée par
R.Bigot, portant sur 100 jeunes passés par l’association Hors la Rue et l’ASE
de Paris. Les résultats pour les jeunes ayant accepté le placement sont très
encourageants car la grande majorité renonce aux activités dangereuses ou
délinquantes qu’ils pratiquaient avant et obtiennent des qualifications
professionnelles dans plus de 90% des cas.
[15] La
raison principale est liée à la faiblesse de la rémunération des professeurs
dont le salaire ne suffit pas toujours à couvrir les besoins de base. Ces
derniers sont souvent obligés de pratiquer d’autres activités parallèles ou
préfèrent démissionner pour des emplois mieux rémunérés.
OLIVERA M, Romanes, on l’intégration traditionnelle des Gabori de Transylvanie, thèse de doctorat en ethnologie, Univsersité Paris X, 2007
PORUMB A, (et alii), Rewiew of Donor Support for the NGO Sector in Romania, Princess Margarita Romanian Fondation, Bucarest, 2001.
RUS C, La formation des assistants et médiateurs scolaires roms/tsiganes, Rapport du séminaire de Timsoara avril 2004.
RUS C, La situation des médiateurs et assistants scolaires roms en Europe, Rapport pour le Conseil de l’Europe, 2006
RUS C et ZAETRAN M, Education des enfants roms en Europe – Guide du médiateur / assistant scolaire rom, Ed. Conseil de l’Europe. 2009.
USAID, NGO Sustainability index for Central and Eastern Europe and Eurasia , 13th Edition – juin 2010.
[1] Dans le cadre de l’association Hors la Rue www.horslarue.org
[2] Entretiens réalisés auprès de médiateurs du judeţ de Dolj, de coordinateurs et de MM G.Gheorghe et S.ION de l’association drepate şi fraţie.
[3] Education des enfants roms en Europe – Guide du médiateur / assistant scolaire rom. Ed. Conseil de l’Europe. 2009 http://www.coe.int/t/dg4/education/roma/Source/Guide_FR.PDF
[4] Le concept de la médiation et l’urgence théorique par Michèle Guillaume-Hofnung, cahier du Cremoc n°35
[5] Outre une certaine démotivation du personnel encadrant cela induit, notamment au sein du système de santé, une pratique généralisée de corruption qui fait que si en théorie le système est gratuit, dans la pratique, les plus pauvres n’y ont pas accès. Une étude de la Banque mondiale de 2004 a révélé que la corruption dans le système de santé roumain s’élevé à 300 millions d’euros par an.
[6] Les médiateurs du département de Dolj mettent en avant le fait que la cause principale de non scolarisation des enfants au primaire est liée au manque d’argent des parents pour acheter les vêtements et les fournitures nécessaires.
[7] Dans le cas des médiateurs sanitaires cette cause arrive devant celle sur l’hostilité de la population majoritaire.
[8] Il est difficile d’imaginer un tiers rémunéré par une institution totalement indépendante des deux parties en conflit.
[9] Des 1990 à 2010, près de 800 médiateurs scolaires ont été formés. Actuellement le cursus est assuré par trois principaux organismes sur une période allant de 8 à 10 mois avec des modules relativement similaires.
[10] Voir l’article de M.Olivera Introduction aux formes et raisons de la diversité rom roumaine, In études tsiganes n°38
[11] Les revenus des migrants qui envoient de l’argent à leur famille ne sont quasiment jamais déclarés ainsi que de nombreuses activités rémunérées qui ne font pas l’objet de facture.
[12] Agence National des Roms,
[13] Bureau départemental des Roms
[14] « Un projet même abstraction faite de ses contacts avec la populations est ainsi déjà un ensemble en partie in-cohérent, car doté de cohérences disparates » J-P Olivier de Sardan, Anthropologie et développement, Ed Apad Karthala, Paris, 1998, p 130 (221 p)
[15] « Selon la lettre d’intention à l’accord stand-by citée par MEDIAFAX, le gouvernement roumain s’est engagé devant le FMI à licencier encore 74.000 fonctionnaires en 2010 et au moins 15.000 en 2011, après avoir déjà licencié 27.000 fonctionnaires depuis le début de l’année ». Extrait de la revue de presse du 5 août 2010 de l’Ambassade de France à Bucarest.
[16] La déclaration reconnaît que les « défis » posés par la situation des Roms ont « des implications transfrontalières et appellent par conséquent une réponse paneuropéenne ». Elle souligne néanmoins que la responsabilité première de leur intégration sociale incombe « aux Etats membres dont les Roms sont ressortissants ou dans lesquels ils résident durablement et légalement. Extrait de la déclaration de Strasbourg du Conseil de l’Europe après l’adoption du Plan d’action européen pour l’intégration des Roms le 20 octobre 2010.
[17] L’article 9 du chapitre 3 l’ordonnance 1539 du 19 juillet 2007 du MECT (ministère roumain de l’éducation) définit les attributions des médiateurs scolaires. Parmi la quinzaine de points évoqués plus d’un tiers concerne la collecte de données sur la situation des enfants de la communauté rom.
[18] Les difficultés que connaissent les ONG sont liées à la crise financière que connaît la Roumanie depuis 2009. De plus, pour des raisons historiques, les services sociaux roumains sont souvent réticents à confier certaines missions aux ONG. Le rapport de l’USAID sur la situtation des ONG en Roumanie de 2009 montre que cette tendance se développe au fil des ans. Si l’on regarde les prestations de services assurées par des ONG : en 2006 elles représentées deux tiers, en 2009 elles sont estimées à 50 %. En revanche, toujours selon le même rapport les services auprès des roms sont presque exclusivement assurés par les ONG.http://www.usaid.gov/locations/europe_eurasia/dem_gov/ngoindex/2009/complete_document.pdf
[19] M.Olivera « Romanes, on l’intégration traditionnelle des Gabori de Transylvanie, thèse de doctorat en ethnologie, Univsersité Paris X, 2007